La recherche est en marche
Pour comprendre au mieux les enjeux et évolutions qui nous entourent, et éviter les effets de modes pour privilégier les usages en analysant le travail réel, la recherche peut être un levier puissant. Génie Le Lab, laboratoire de recherche de Génie des Lieux, s’est fixé comme objectif d’avancer sur trois axes de travail.
Séminaire Génie le Lab © Ophélie Rudent pour Génie des Lieux
Dans le premier axe, nous nous interrogeons sur la manière d’évaluer un espace de travail. Nous nous sommes donnés pour ambition de construire un protocole d’évaluation avant, pendant et après la conception, pour avoir enfin un outil de dialogue scientifique et partagé. Dans le deuxième axe, nous nous interrogeons sur l’activité, pour comprendre le rapport entre les espaces de bureaux et le travail, et finalement le lien avec la conception. Enfin, dans le troisième axe, nous expérimentons le mode de travail nomade des salariés d’entreprise, avec l’enjeu de comprendre l’engouement ou l’évolution des espaces de coworking.
Après bientôt deux ans de réflexions et d’observations terrains nous constatons que ces axes se rejoignent. Le salarié, le nomade, le coworker viennent chercher dans l’espace de travail une prise de courant pour brancher leur PC, une connexion wi-fi et si possible, un plan de travail et un siège confortable. L’idée de départ qui a guidé la conception ne les concerne pas. L’occupant se préoccupe de ses besoins primaires : envoyer un mail, préparer un document. Il va ensuite chercher un lieu fermé pour s’isoler pour téléphoner, se concentrer ou se réunir. La rencontre, l’échange, le fameux « collaboratif » vient par la suite, quand les tâches urgentes sont terminées.
Ainsi, le moteur du coworking, qui surfe sur la rencontre informelle entre entreprises et l’échange du savoir, n’existe pas spontanément. Il doit être aidé par un facilitateur.
L’espace est utilisé selon les besoins de chacun. Il est pris comme une ressource où l’on vient chercher l’essentiel pour ensuite apprécier « le reste ». Ce « reste », dont on parle beaucoup, va de l’architecture intérieure reprenant les codes d’un café cosy ou d’un bar à fruits, jusqu’à l’offre de services, comme l’accueil par un happy manager que l’on peut appeler par son prénom ou le « concierge ».
L’espace est utilisé selon les besoins de chacun. Il est pris comme une ressource où l’on vient chercher l’essentiel pour ensuite apprécier “le reste”. Ce “reste” dont on parle beaucoup est le plus dont on peut bénéficier. Il va de l’architecture d’intérieure, reprenant les codes d’un café cosy ou d’un bar à fruits, jusqu’à l’offre de services, comme l’accueil par un happy manager que l’on peut appeler par son prénom ou le “concierge”.
Tout ceci est le fruit de plusieurs mois de réflexions, issues d’un échange avec des groupes de travail sur différents thèmes comme l’organisation du travail, les typologies d’espaces adaptés aux activités, le service aux occupants, etc. Ces réflexions engagées interviennent sur la phase de conception, importante pour structurer le projet. Mais elles n’arrivent pas à anticiper le travail de demain ou le changement de programme au moment de l’emménagement.
Construire un protocole d’évaluation pertinent
Pour revenir aux critères explorés dans l’axe 1, débattus régulièrement avec nos experts, nous confirmons que les projets immobiliers se suivent, se copient, mais ne se ressemblent pas. Comment affirmer qu’un projet est réussi, qu’un projet pilote a suffi à guider la mission de déploiement ? Seul pour juger, le sondage ne garantit pas une vision objective partagée par tous les acteurs. Un projet immobilier est le fruit de plusieurs acteurs. Il est issu d’une vision de départ. Il est précieux de le garder en tête jusqu’à sa mise en exploitation et de s’interroger sur le pourquoi de ce projet. Quelle est la vision stratégique qui a initié le mouvement ? Un projet non satisfaisant a peut-être perdu l’essence même de ses objectifs de départ. Cela pourrait être dû à une gouvernance trop lourde, qui aurait dilué les axes forts de la genèse, ou au fait que des équipes transverses ne se seraient pas suffisamment croisées. Ou encore, au fait qu’un projet aurait été dilué dans le temps : qui ferait que les enjeux de départ ne seraient plus aussi pertinents, du fait des évolutions de l’organisation.
D’autres questions se posent : qu’est-ce qu’un bon espace ? Un espace fonctionnel ou un espace qui acceptent les détournements d’usages ? Finalement, quel est le rôle de l’activité par rapport à l’espace proposé ? Nous pensons que la conception doit s’attacher aux activités réelles, tout en n’oubliant pas la notion de temporalité. Un aménagement adapté dure quelques mois et non plusieurs décennies. L’espace doit ainsi proposer des zones de liberté, des espaces vierges de prescriptions. Il existe bien un écart entre l’utilisation prévue et l’usage réel. Un projet réussi serait-il un projet qui réduit cet écart entre conçu et vécu ? L’appropriation dans l’espace est-elle signe de bien-être ou de dysfonctionnement quand la personne cherche à se protéger ?
Nos experts s’accordent à dire que la phase de cadrage et de programmation est structurante pour guider le projet sur ses intentions. Ensuite, la gestion de projet suit les orientations et chemine vers une réalisation. En amont, il est utile de s’interroger sur le sens de l’espace que l’on va créer : pourquoi le salarié vient-il travailler ? Quelle est la valeur réelle de l’espace créé ? Un espace réussi n’est-il pas un espace ressource qui permet l’activité, qu’elle soit traditionnelle, en flex office ou autre ?

Comprendre le rapport entre les espaces de bureaux et le travail
Le sujet de thèse porté dans l’axe 2, entamé en 2017, étudie la manière dont les professionnels font l’expérience des nouveaux aménagements, et dont ceux-ci agissent sur leurs pratiques de travail. Quels avantages, mais aussi quelles contraintes y trouvent-ils ? Comment est-ce qu’ils se les approprient, individuellement et collectivement ? Quelles logiques guident leurs usages ? La recherche vise à enrichir les méthodes de conception et de gestion des espaces de travail, pour mieux y intégrer les logiques d’activité et les dynamiques sociales. Ce faisant, elle permet de dégager les facteurs qui contribuent à la réussite, ou au contraire les difficultés rencontrées à l’occasion des projets immobiliers.
Au cours de l’année passée, Felix Traoré a mené une enquête ethnographique auprès de trois entreprises connaissant une transformation de leurs espaces de travail. Elle s’est concrétisée par une immersion au sein des espaces de travail, couplée avec une observation ciblée du cours d’action de certains collaborateurs sur des journées entières. Impliquant les personnes dans l’analyse de leur propre travail et de leur rapport aux espaces, la méthodologie était complétée par des entretiens semi-directifs.
Comprendre l’engouement ou l’évolution des espaces de coworking
L’axe 3 de la recherche s’intéresse à l’usage que les entreprises et leurs salariés font de l’offre émergente de tiers-lieux, fournissant à ces derniers la possibilité de travailler en dehors des locaux de leur entreprise. Offrent-ils une continuité de leur activité malgré les ruptures spatiales, avec de la fluidité, du passage des murs de l’entreprise vers d’autres lieux de travail ? Quels services les aident à faire face aux contraintes du travail nomade et à atteindre leurs objectifs ? Qu’est-ce que cette alternative leur apporte dans la réalisation de leur travail ?
Y a-t-il, dans le passage du poste de travail fixe au tiers-lieu, des ressources qu’ils perdent, et, dès lors, comment parviennent-ils (ou non) à les reconstituer ou leur trouver des substituts ? En gagnent-ils d’autres ? Pour répondre aux activités, la recherche s’est appuyée sur deux volets : d’une part, la mise à disposition de services via un tiers-lieu expérimental associé à un dispositif d’enquête (observations in situ, entretiens collectifs, entretiens individuels) ; et d’autre part, une enquête menée auprès d’autres tiers-lieux ouverts à la clientèle salariée (visites, entretiens avec les gérants et les utilisateurs, cartographie).