Flex office et personnalisation : quels enjeux ?
Poser une photographie de ses enfants sur son bureau individuel, régler son siège, mettre des pense-bêtes en évidence autour de soi… la personnalisation de l’environnement de travail revêt de multiples visages et les collaborateurs y sont souvent attachés. Le déploiement du flex office au sein des entreprises vient pourtant la réinterroger.
A-t-elle toujours sa place ? Jusqu’où faut-il la rendre possible ? Sous quelles formes ?
Aujourd’hui, le flex office (bureau flexible) représente un enjeu réel. Il y a une grande diversité de pratiques à travers lesquelles les individus s’approprient leur poste de travail. Elle va du fait de poser une photo de ses enfants à celle d’installer des pense-bêtes autour de soi. De ce que j’ai pu observer, elles répondent principalement à deux logiques : d’une part, une logique expressive, de l’autre, une logique productive.
La logique expressive renvoie à tout ce qui participe de l’expression de sa personnalité (la photo des enfants, la plante verte, le proverbe qu’on aime bien, etc.). Cela remplit en partie une fonction de marquage de territoire mais, au-delà de ça, c’est une manière d’exister au travail comme individu, d’y exprimer ses goûts, d’y construire son identité.
À côté de cet aspect, il y a tout un tas de pratiques qui vont plutôt servir à s’organiser, à gagner en confort et en efficacité.
Par exemple, les Post-it sur l’écran, le rétroplanning scotché sur l’armoire, les dossiers disposés sur le bureau selon un ordre de priorité, etc. C’est aussi le fait de régler son siège, l’inclinaison ou le paramétrage de ses écrans, etc. On y porte moins d’attention parce que cela paraît plus évident, mais cela représente en fait un support assez important pour l’activité de travail et participe au sentiment d’aisance que l’on peut y ressentir sur le lieu de travail.
Avec le numérique, les pratiques telles que le flex office n’ont-elles pas vocation à se dématérialiser ?
C’est une idée courante, mais dans la pratique, on constate la même chose que pour l’usage du papier en général : on a davantage affaire à une articulation qu’à un remplacement.
Par exemple, je vais avoir plein d’alertes sur ma boîte mail et sur mes différents outils collaboratifs, mais les Post-it vont me permettre de matérialiser mes priorités pour ne pas les perdre en route.
Dans les activités intellectuelles, on a souvent besoin de maintenir une certaine physicalité des supports pour s’y retrouver. Même si l’on manipule principalement des signes, qu’une partie des outils que l’on mobilise sont directement palpables. De la même manière, si les gens mettent de plus en plus de photos de leurs enfants sur le fond d’écran de leur smartphone, cela n’efface pas forcément le désir de décorer son environnement physique pour améliorer leur qualité de vie au travail.
À l’ère du collaboratif, les pratiques de personnalisation sont-elles à contre-courant ?
On a tendance à voir dans la mise en place et la personnalisation de son espace de travail une manifestation de l’individualisme, et on oppose la notion d’appropriation à la notion de partage.
En réalité, c’est plus ambivalent que ça. Sur leur bureau, on trouve souvent des cartes postales, des cadeaux offerts par les collègues, des boîtes de gâteaux qu’on partage avec les autres, des références à des private jokes d’équipe.
Donc la personnalisation est souvent un vecteur d’intégration du collectif. Elle ne s’oppose pas à ce qu’il y ait une appropriation collective des espaces. Ce qui peut être dérangeant, c’est plutôt quand des symboles ou des objets sont mis en avant par certains et que tout le monde ne s’y retrouve pas.
En quoi la question de la personnalisation représente-t-elle un enjeu pour les entreprises ?
Les entreprises qui déploient le flex office s’y intéressent particulièrement, parce que c’est une préoccupation souvent remontée par les salariés et les partenaires sociaux. D’un point de vue de Facility Management, il y a la question des prestations liées à la propreté, qui sont impactées par ce qu’on laisse traîner ou pas sur les bureaux, dans les salles de réunions et espaces de coworking.
Mais de manière plus large, l’environnement physique est un objet de construction des identités professionnelles. C’est la question du rapport à l’entreprise qui se pose. Qu’est-ce qu’on a le droit d’y exprimer ? Quelles appartenances peut-on y manifester ? Est-ce que je peux venir dans mon nouveau service avec des objets qui symbolisent l’activité de mon ancienne entité ? Est-ce que les équipes peuvent s’approprier leur territoire avec des codes qui ne sont pas forcément ceux de la culture de l’entreprise et de la communication Groupe ?
Il y a une tendance à rechercher de la transversalité en codifiant beaucoup les espaces de travail, mais elle peut se faire au détriment de l’appropriation des locaux. Il y a aussi une tendance à transporter des outils professionnels dans la sphère privée, sans pour autant être invité à amener des affaires personnelles au bureau. Cela pose peut-être des questions quant au rapport au travail qui est proposé.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui souhaiteraient mettre en place du flex office dans le cadre de leurs projets immobiliers ?
D’abord, de prendre ces questions au sérieux. Pour les acteurs qui sont impliqués dans ces projets, en tant que chef de projet ou représentants d’équipes, cela veut dire commencer par observer les pratiques existantes, comprendre à quels besoins elles répondent, voir comment les futurs locaux répondront à ces besoins. Cela change selon les collectifs et selon les personnes.
Cela ne veut pas dire que l’on peut répondre aux préférences de chaque personne, mais qu’il faut réfléchir aux marges qu’on laisse à chacun pour s’approprier son environnement et construire son mode de travail. Ceci implique de développer un réel dialogue avec les collaborateurs concernés plutôt que de chercher trop rapidement à construire un argumentaire.