Le futur du travail, les enjeux en 2030
Pour penser les enjeux de demain, on peut imposer une vision prophétique de l’avenir et tirer des plans sur la comète sans fondement concret. C’est ainsi qu’on relit des articles annonçant, il y a déjà dix ans, la mort du bureau. À ces projections nettement moins palpitantes que les romans d’anticipation, nous préférons partir du présent et l’interroger plutôt que de rêver de mondes impossibles. Comme l’écrivait l’ami philosophe Maurice Blondel, « l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare ».

Envisager le futur du travail, les espaces de travail en 2030, c’est considérer un délai court dans un domaine où les transformations sont longues. L’envergure des chantiers, l’investissement financier et la durée des projets immobiliers plongent de fait les entreprises dans une relative inertie. En clair, écrire va toujours plus vite que (dé)bâtir. Génie des lieux vous en dit plus.
Futur du travail : à quoi s’attendre dans 10 ans ?
Penser « dans dix ans », c’est aussi se défaire de certains mirages entretenus aujourd’hui. La plupart des médias qui s’intéressent aux bureaux se focalisent, à juste titre, sur des tendances qui émergent, mais nous font parfois oublier une réalité statistique plus hétérogène. Quand bien même on les circonscrit au secteur tertiaire français, les espaces de travail n’évoluent ni au même rythme, ni sur le même territoire, ni dans une même direction. La prégnance du télétravail ou des aménagements en flex office et en open space mérite par exemple d’être relativisée.
Ces dispositifs ne représentent pas le raz-de-marée annoncé, bien qu’ils gagnent du terrain. Ainsi, selon le dernier Baromètre Actineo / Sociovision, le fameux espace mutualisé et non attitré concernait 14 % des actifs français travaillant dans un bureau en 2019, contre 7 % en 2017. Cette observation peut paraître triviale, mais le parc immobilier auquel nous faisons référence déborde largement des murs de Paris, accueille une majorité de bureaux cloisonnés, et s’adresse autant aux grands groupes qu’aux sociétés employant moins de dix salariés. La disparité dans la taille des entreprises nous rappelle que les directions immobilières autonomes sont souvent absentes des plus petites organisations, et que le budget alloué aux espaces de travail en dépend souvent.
Ce constat fait, on peut surligner certains phénomènes qui ne représentent pas forcément des réalités dominantes mais qui posent des questions pour la décennie qui s’annonce. Pour 2030, il semble évident que le futur des lieux de travail doivent dès à présent répondre à des enjeux de mobilité externe, d’attractivité et de fidélisation, ainsi qu’à des questions environnementales.
De l’immeuble de bureau aux lieux de travail
Depuis quelques années, l’immobilier change, guidé par une recherche croisée de flexibilité, d’optimisation des ressources et de réduction des coûts, plus ou moins en faveur des occupants. Dans l’ouvrage « De l’immeuble de bureau aux lieux du travail : 40 ans de transformation» paru en 2018, Frédérique Mansoux, Gérard Pinot et Pierre Bouchet retracent l’histoire de l’immeuble de bureau pour dépeindre celle du travail et de ses transformations. Ils explorent des thématiques comme le télétravail, le coworking, la réversibilité, le collectif, le numérique… Un ensemble de sujets où la question du futur du travail précède finalement celle des lieux.

Futur du travail et métamorphose de l’immobilier
Si l’on s’en tient à un scénario représentatif des transformations actuelles, on peut prendre l’exemple d’une entreprise qui souhaite apporter de la souplesse dans le temps pour ses bureaux. Elle va troquer le modèle de la propriété pour celui des locations à baux commerciaux, jugé moins paralysant. En s’engageant dans ce cadre réglementé, il est en effet plus aisé d’adapter avec agilité ses bureaux à la conjoncture économique et sociale. À cette flexibilité contractuelle de l’espace de travail tertiaire, s’ajoute la recherche de flexibilité à grande échelle dans l’espace, notamment guidée par une crainte de l’obsolescence instantanée. Elle conduit au déploiement de bureaux standardisés prévus pour accueillir un travailleur générique, dont le poste n’est plus attribué. Ces virements de bord sont souvent accompagnés d’une relocalisation des bureaux de l’entreprise en périphérie des centres-villes, pour un prix au mètre carré irrésistiblement plus faible. Dans la suite logique, le parc immobilier auparavant dispersé est regroupé sur un unique campus rendu dense par l’open space et par la mutualisation des postes de travail.
Ces changements peuvent améliorer l’exercice de l’activité des travailleurs, mais aussi leur être nuisibles. Une des idées pour 2030 est de développer avec prudence la flexibilisation, la densification et la réduction des coûts en général. Ces logiques immobilières ne doivent pas être décorrélées du travail qui est fait dans les bureaux, sachant que tous les métiers et tous les individus ne sont pas égaux face aux transformations. Il faut éviter de déployer ces aménagements à n’importe quel prix, comme un nouveau dogme à satisfaire, comme une mode à suivre, en foulant les attentes et les besoins des occupants.
Adopter une tendance aveuglément peut coûter cher en temps et en argent, d’autant plus qu’elle est vouée à disparaître rapidement pour en accueillir une nouvelle. Les risques de ces changements perpétuels sont élevés : remise en cause des compétences, perturbation de l’organisation du travail, incertitude face à l’avenir, frustration, fatigue et résistance à toute nouveauté. Avant de se lancer inconsidérément, on doit se poser quelques questions. L’aménagement promu répond-il bien aux besoins ou aux problèmes actuels de l’entreprise et de ses salariés ? Est-on en mesure de fournir les efforts qu’il requiert ? Ne s’oppose-t’il ou n’est-il pas comparable à une solution préexistante ? Mais trop souvent encore, ces questions ne peuvent pas se poser. Les investisseurs imposent un modèle d’immobilier d’entreprise aux promoteurs, qu’ils imposent à leur tour aux entreprises occupantes, qui enfin l’imposent à leurs usagers.
Un concept nouveau n’a pas vocation, quoi qu’on en dise, à être généralisé et appliqué à toutes les entreprises, peu importe leur taille et leur activité. Différents modèles mieux équilibrés se présentent alors, à l’image de l’open space qui n’accueille pas plus d’une entité, ou du flex office territorialisé selon les équipes. Alors que la souplesse incombe davantage à l’occupant qu’au bureau, misons sur la flexibilité de l’espace, voulu polyvalent, modulable et appropriable dans un périmètre donné. Notre constat est que, trop souvent, l’immobilier est perçu comme un produit d’investissement et comme une charge d’exploitation. L’espace ne doit pas être pensé comme un capital, mais comme une ressource au travail. L’objectif est d’offrir les fonctionnalités nécessaires à la réalisation du travail, en cohérence avec les enjeux pratiques, stratégiques, managériaux et culturels.
Il ne fait aucun doute que les transformations spatiales que nous venons de décrire affectent particulièrement la mobilité physique externe des occupants de bureaux. Face à l’augmentation des temps de transport et à la dégradation des certaines conditions de travail, deux possibilités sont offertes aux salariés : le télétravail en coworking et à domicile. Depuis quelques années, la pratique occasionnelle et régulière du télétravail augmente notablement. Entre 2017 et 2019, elle est passée de 48 à 54 % au domicile et de 31 à 38 % en espaces de coworking, selon le dernier Baromètre Actineo/Sociovision. Notons que ces solutions émergent également à la suite d’une forte demande des collaborateurs ou d’un programme de responsabilité sociétale des entreprises.
Coworking et futur du travail ?
L’explosion des espaces de coworking depuis cinq ans s’explique par l’arrivée sur le marché de gros opérateurs tels que WeWork ou Wojo (anciennement Nextdoor). Ils proposent aux entreprises une grande flexibilité sur la durée et le volume grâce à des milliers de mètres carrés de surface, dans des immeubles entiers en plein coeur des villes. En 2017, l’offre de ces géants se développe comme un volet complémentaire à la nouvelle économie de la location, comme une solution d’appoint en période de déménagement ou de pic de fréquentation de leurs bureaux. Avec ses surfaces louables et cloisonnées qui accueillent des unités entières, le « nouveau » coworking fait alors office d’annexe de bureaux. Sans caution à payer, sans bail, il suffit de s’acquitter d’un abonnement mensuel pour venir y travailler. On l’aura compris, il y a une grande différence entre ces espaces et l’offre originelle du coworking, pensé comme un lieu de travail et de rencontre à taille humaine à destination des indépendants, des entrepreneurs et des porteurs de projets, qui manifestent le besoin de sortir d’une forme de solitude pour collaborer, embrasser des moments de convivialité, voire intégrer une communauté.
Avec l’arrivée des grandes surfaces de coworking, le concept s’est industrialisé à l’attention des salariés d’entreprises, allant parfois jusqu’à trahir sa signification originelle. Finalement, ces lieux réduisent leurs services, offrent une faible diversité d’espaces avec un confort au poste de travail qui laisse à désirer. Au fait, est-ce qu’on parle de coworking ou de centre d’affaires ? Bien que largement perfectible, cette solution industrialisée du coworking offre, tout de même, une réponse aux salariés des grandes entreprises qui manifestent le souhait de travailler dans des espaces mieux aménagés que leur domicile et moins loin que leur bureau.
Mais, jusqu’à présent, la rentabilité du modèle du coworking n’a pas été démontrée. De nombreux lieux ouvrent leurs portes, mais rares sont ceux qui subsistent dans la durée. Les espaces de coworking originels sont fragilisés par l’entrée des majors, qui tendent à former un oligopole, mais qui peinent à se stabiliser financièrement. La course aux prix cassés, imposée par les grands acteurs du coworking, empêche de reconnaître cette offre de service à sa juste valeur. Cette situation inquiétante est illustrée par le report de l’introduction en bourse de la We Company, qui a engendré en 2018 un déficit aussi important que son chiffre d’affaires. L’offre du coworking doit encore trouver sa place dans l’économie globale… Pour finir, on a longtemps suggéré queles espaces de coworking remplaceraient les tiers-lieux informels investis pour travailler, en évoquant les nombreuses limites de ces environnements. Or, aujourd’hui, force est de constater qu’on doit encore compter sur eux. Selon le Baromètre Actineo mené par Sociovision, les espaces de coworking sont nettement moins utilisés pour travailler que les restaurants, les cafés, les transports en commun, les hôtels et les gares. Le temps de travail dans ces lieux de transit, d’attente et de restauration, a d’ailleurs tendance à augmenter. Attendons-nous donc plus à une articulation des mondes du coworking et des tiers-lieux informels qu’à un grand remplacement menant à une quelconque hégémonie.

Les nouvelles questions du télétravail à domicile
Le télétravail à domicile présente de nombreux avantages, comme l’élimination des temps de transport et sa conséquence bénéfique en matière d’émission de CO2, l’intégration des salariés handicapés ou ayant des contraintes importantes, la limitation des nuisances sonores dans un contexte où l’open space se généralise, ou encore la promotion des zones géographiques plus isolées. Quant à l’amélioration des conditions de travail, par exemple à travers l’acquisition d’une plus grande marge d’autonomie et la réduction de la charge mentale, elle dépend notamment de la maturité de l’organisation. Encore rares, les formations au télétravail à domicile sont indispensables, à la fois pour le salarié et le manageur. Elles visent à établir des compromis, à réduire tout malentendu et dysfonctionnement en accompagnant l’utilisation d’outils de gestion pertinents sur un rythme nouveau, ou en favorisant la confiance entre les collaborateurs d’une organisation.
Pour l’avenir, cette pratique pose aussi des questions d’environnement de travail. L’ergonomie du siège et de la table sur lesquels travaillent les salariés est prise en considération par la législation, mais on peut aisément comprendre que tout collaborateur ne veuille pas voir son domicile envahi par son entreprise, qui viendrait y imposer son mobilier, ses mesures, ses normes. Que faire, dans ce cas précis ? Si le télétravailleur n’a aucune possibilité d’aménager correctement un bureau, notamment par manque d’espace, peut-il, doit-il travailler à domicile ? Et lorsqu’il vit dans un environnement familial compliqué ou simplement très présent, est-on alors en mesure de promettre un équilibre des sphères professionnelle et personnelle ? À ces interrogations s’ajoute l’enjeu de l’éligibilité. Certains métiers de maintenance, d’accueil, de secrétariat au devoir de présence, ou encore certaines fonctions soumises à des exigences de confidentialité, peuvent être laissés pour compte. Pourtant, un effort pourrait potentiellement permettre de condenser l’ensemble des tâches réalisables hors du bureau sur au moins une journée, même occasionnelle. Le principe est de tester l’éligibilité plutôt que de la décréter, sachant que la possibilité de télétravailler varie d’un contexte d’entreprise à l’autre, et peut être évaluée via une réflexion élargie sur les activités des occupants du bureau. Notons aussi l’intérêt d’une pratique flexible du télétravail, qui permet par exemple de réajuster plus souvent sa fréquence, de démarrer ou de s’arrêter plus facilement, selon certaines conditions.
Enfin, qui a dit que l’introduction du télétravail au sein d’une entreprise devait être brusque ? Au contraire, elle peut être progressive, avec des « périodes d’essai », sur un panel de salariés volontaires, qui aboutiront à un retour d’expérience instructif en vue d’un déploiement plus global. Le télétravail, bien que promu par le gouvernement, reste minoritaire dans de nombreuses entreprises qui voient leurs salariés : soit défavorables à cette pratique, soit encadrés par un management qui s’y oppose, soit reliés à une activité jugée inadéquate avec ce mode de travail. L’ennemi ultime s’appelle le présentéisme, qui s’attache uniquement à la durée du travail au bureau. On note alors un fossé entre la « possibilité » de télétravailler et la création de conditions qui permettent de télétravailler dans les faits. Rappelons que les statistiques qui mesurent la pratique du télétravail à domicile ne reflètent pas la totalité du travail à domicile, activité qui passe entre les mailles du filet. « Télétravailler » entre dans un cadre juridique strict, tandis que « travailler chez soi » relève d’une pratique non encadrée.
Une fois rentré à la maison, qui n’a jamais poursuivi une tâche du bureau ? Depuis quelques années, certaines multinationales telles qu’IBM, pourtant pionnières en matière de promotion de la mobilité, font machine arrière en freinant la pratique du télétravail. La raison ? Plus les salariés ont l’occasion de collaborer dans les bureaux, plus ils seraient innovants et performants. Le géant de l’informatique rejoint ainsi Google, Facebook et Apple, peu connus pour leur engouement en faveur du télétravail. Ce retournement de situation chez IBM pose des questions quant aux limites du télétravail pour l’entreprise et pour le salarié, concernant la cohésion des équipes, le sentiment d’appartenance ou la performance. En même temps, la société a-t-elle tout mis en oeuvre pour accompagner et réguler la pratique du télétravail, pour répondre aux enjeux individuels et collectifs qu’elle soulève ? Au-delà de ça, le plus surprenant est d’assister à un changement radical de paradigme qui se base sur la publication de quelques études internes, à contre-courant de toutes les évolutions connues, pour bouleverser le quotidien des collaborateurs.
Le bureau libre, travailler où j’ai besoin
Que cela parte ou non d’une préoccupation pour le salarié, une majorité de salariés exprime le besoin de choisir plus librement son lieu de travail. La liberté, c’est finalement de pouvoir travailler là où se trouvent un service et un environnement adaptés à son activité, à un moment donné. Parce qu’en réalité, qui peut prétendre aujourd’hui que l’unique présence au bureau est un gage total de performance ? Tout le monde est au courant qu’on peut être au bureau sans « travailler ». À l’inverse, on peut travailler plus efficacement à son domicile ou dans un tiers-lieu qu’à l’intérieur des locaux de son entreprise. La production de valeur se trouve donc dans d’autres paramètres que celui du présentéisme contemplatif.
Pourquoi travailler contraint côte à côte, quand, dans le même temps, les moments de réunion peuvent être recréés à distance via des outils digitaux ? L’échange en direct subsiste sans la présence physique (merci aux signaux de fumée du haut de la Grande Muraille de Chine, il y a quelques milliers d’années, perfectionnés par Alexander Graham Bell et son téléphone en 1876). La croissance du travail collaboratif à distance n’engage pas pour autant un éclatement des collectifs et un isolement des salariés systématiques. On peut, au contraire, voir se construire de subtils jeux de confiance et d’alliance entre les collaborateurs. Aujourd’hui, les lieux légitimes de travail se multiplient et se diversifient dans et hors des immeubles de bureaux traditionnels, obligeant les entreprises à appréhender le travail de leurs collaborateurs au sein d’un espace de travail élargi. Cet espace échappe d’autant plus aux formes traditionnelles de contrôle que les collaborateurs deviennent des nomades, c’est-à-dire des utilisateurs de plus en plus fréquents de lieux de travail extra-muros toujours plus divers. L’enjeu, selon l’activité du collaborateur, n’est pas de travailler, à tout prix, la totalité du temps au bureau ou en dehors.
Il faut laisser une liberté, une autonomie au premier concerné, le collaborateur, en concertation avec son manageur, pour travailler seul ou à plusieurs dans les conditions qu’il pense plus efficaces et confortables, dans une logique de réduction des contraintes. Dans cette optique de colocalisation, la proximité des collaborateurs s’entrevoit selon les projets et les équipes. Le bureau libre serait-il une utopie ? Un espace pour se retrouver semble toujours indispensable. En 2030, peut-être pourra-t-on venir « au travail » quand on en aura besoin individuellement et collectivement, quand on l’aura décidé, et non par convention ou par contrainte descendante.
Le bureau idéal est donc une place de rassemblement : on y retrouve ses collègues pour travailler en groupe, pour échanger, pour partager ses difficultés, pour s’entraider et s’enrichir (quand tout se passe bien !).
Pour y arriver, l’accompagnement au changement des acteurs concernés est primordial, car il permet de trouver des solutions, de les familiariser à leur nouvelle organisation et à leurs nouvelles pratiques. Il doit aussi se poursuivre dans le temps. D’une part, parce que le bureau libre fait l’objet d’un compromis, d’une régulation constante au sein des entreprises aux activités et aux solutions informatiques changeantes. D’autre part, car une entreprise connaît toujours un turn over des salariés, et les nouveaux arrivants méritent d’être formés à ces nouveaux modes de travail.
Répondre aux attentes, mais lesquelles ?
L’immobilier joue un rôle dans la stratégie d’attractivité et de fidélisation des entreprises. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises accueillent des espaces et des services censés répondre aux attentes et aux codes des salariés, plus précisément des « talents », pour les attirer puis les « retenir ».

Les Millennials, une génération qui tombe à pic
De plus en plus, les organisations élaborent une rhétorique de l’adaptation à la jeunesse. La génération Millenials, associée de façon floue au passage au XXIe siècle, apparaît comme une nouvelle typologie de collaborateurs, donnée partout en exemple de la modernité par opposition aux anciennes générations de salariés, qui représenteraient les derniers bastions de la résistance au changement. Fraîchement arrivés sur le marché du travail, ces nouveaux jeunes sont l’avenir de l’entreprise : les recruter est crucial si l’on veut vivre sur le marché. On prête à cette génération des désirs de travailler en open space, en flex office, dans une mobilité du travail et une flexibilité de l’emploi élevées. Leur créativité ne s’épanouirait qu’aux côtés de canapés cosy et de babyfoots ; ils seraient par ailleurs, tous sans exception, à la pointe en matière de technologie, car digital natives.
Pour paraphraser Pierre Bourdieu, cette génération est une notion floue, « à extension indéterminée », « à géométrie variable », une invention marketing reliant des individus extrêmement hétérogènes, des univers sociaux qui n’ont pratiquement rien de commun. C’est un concept qui cache un mythe. Chacun peut le manipuler pour l’ajuster à ses intérêts ou à ses préjugés.
Les Millennials, grossièrement perçus, deviennent alors un alibi lorsque leurs aspirations supposées sont érigées pour introduire des projets spatiaux et organisationnels en entreprise. Coller la même étiquette à toute une cohorte d’individus rend hasardeux le propos sur des « attentes », qui renvoient davantage à une conjoncture économique de moins en moins favorable et à un changement structurel des modes de vie. L’atmosphère « créative » et « hype »
des startups est un puissant miroir déformant de la précarité ambiante, transformée en « flexibilité » ou « mode de vie ».
Certes, en France, une partie de jeunes travailleurs indépendants a choisi son mode de vie. C’est particulièrement vrai pour les développeurs informatiques, les designers ou les consultants. Mais cette situation ne doit pas masquer les autres jeunes qui vivent plus directement et douloureusement le lien entre flexibilité et précarité.
Cependant, jeter à la poubelle les aspirations des Millennials reviendrait à négliger les effets auto-réalisateurs de ces aménagements sur les jeunes travailleurs. En effet, l’expérience acquise à travers le vécu dans un bureau influence fortement les attentes formulées en la matière, suivant une logique bien connue qui veut qu’on exprime une préférence pour ce que l’on connaît au détriment de l’inconnu, le plus souvent perçu comme une menace.
D’après Actineo, 46 % des 19 à 25 ans travaillent principalement dans un bureau cloisonné. Mais une partie grandissante des jeunes, élevée depuis le berceau dans une flexibilité de l’emploi et de l’espace de travail, n’aura que le flex office et les open spaces en modèles.
Enfin, même si l’intérêt porté aux générations Y ou Millennials traduit une volonté de projection dans le temps, sa dérive vers la négligence d’une grande partie des travailleurs plus âgés est un risque encouru, notamment en ce qui concerne la digitalisation. En effet, la dernière étude de Julhiet Sterwen montre que les formations techniques qui leur sont destinées sont trop rares, et déphasées par rapport à leurs besoins.
Le « comme à la maison » all inclusive
Dans cette veine, des lieux de travail hybrides, où l’on doit se sentir « comme à la maison », fleurissent sporadiquement depuis les années 2000 pour se démultiplier aujourd’hui. Aussi appelés étrangement « tiers-lieux internes », ils se donnent pour ambition de réenchanter le travail, tels des remèdes à la crise de sens qui frappe de nombreux salariés.
Ces espaces informels sont des solutions pour compenser une détérioration du contenu du travail, mais renvoient souvent à une mise en scène décorrélée de l’activité des occupants et qui cache une standardisation des postes de travail adjacents. Ils peuvent avoir tendance à monopoliser les curiosités autour du bien-être et de la créativité, entourant plus le travail qu’ils ne le consacrent.
Parmi les solutions spatiales qui peuvent répondre aux attentes des jeunes (et des moins jeunes !) et qui sont à valoriser, notons par exemple les espaces extérieurs accessibles, les restaurants d’entreprise et les bulles de confidentialité à proximité du poste de travail.
Désormais, nous atteignons un paradoxe où la dépersonnalisation des bureaux en flex office côtoie la conception des bureaux « comme à la maison » et la demande faite aux salariés de penser l’espace domestique comme un lieu de travail. Pour 2030, il faudra trancher !
Attention, la surabondance des services est un danger qui guette les salariés d’entreprises en leur ôtant toute responsabilité. À travers une offre complète de services comprenant des « welcome managers » pour faciliter leur quotidien, les occupants peuvent se retrouver déchargés de toute organisation des locaux et agissent en tant que clients assistés dans un environnement hôtelier. Traités comme tels, ils deviennent des consommateurs et non plus des producteurs.
Les initiatives et la régulation autonome sont alors bridées, puisque désormais prises en charge. Les personnes responsables des locaux et de leur vie se voient alors souvent obligées d’afficher aux murs des règles de « bonne conduite », plus ou moins efficaces. Ces services doivent être proposés là où les collaborateurs ont besoin de travailler en fonction de leurs activités réelles, et non pas nécessairement là où les acteurs de l’immobilier l’ont décidé.
Le service all inclusive atteint son point culminant ces dernières années, avec l’apparition des résidences de « coliving ». Elles fusionnent les mondes de l’immobilier et de l’hôtellerie en proposant des appartements individuels et partagés, de larges espaces de vie communs, enrichis par de nombreux services. Le concept propose également aux résidents une offre « prêt à vivre » (espaces entièrement meublés, aménagés et décorés) et « tout inclus » (consommations d’énergie, wifi, ménage, blanchisserie).
Cette nouvelle réalité questionne l’agrégation des sphères privée et professionnelle. Une garderie, une conciergerie, une cuisine, une salle de sport, un traiteur, un masseur, le tout dans un campus privé… La comparaison avec le paternalisme des usines du siècle dernier serait-elle de trop ?
Finalement, ces constats nous amènent à réfléchir au cadrage stratégique du périmètre des services que l’on propose en entreprise. En tenant compte de leur coût financier non négligeable, de l’espace qu’ils remplissent et de leurs externalités potentielles, l’objectif serait peut-être de se recentrer sur les besoins et les usages réels des occupants.
La sobriété pour être durable
Dans un projet d’aménagement, il n’est désormais plus possible de cantonner le développement durable à quelques minutes à la fin de la présentation. La compréhension et l’intégration de cette cause passe d’un statut « cosmétique » à une préoccupation de premier plan pour le monde de l’immobilier.

Une nouvelle ère pour l’écologie
En plus de l’augmentation du nombre d’appels d’offres qui en font mention, les fonctions chargées de cette responsabilité s’élèvent dans les gouvernances d’entreprises. Mais le développement durable en entreprise, c’est aussi une affaire individuelle, un engagement et une responsabilité que chacun est amené à porter à petite ou grande échelle.
Première chose à savoir : de nombreuses entreprises contribuent au développement durable sans forcément le savoir.
Certaines, par exemple, réduisent leurs consommations d’énergie pour limiter leurs dépenses, quand d’autres choisissent le recours à des fournisseurs locaux dans le même but. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas s’engager davantage, ou pour laisser à d’autres l’engagement.
En effet, cette réalité mal perçue ne doit pas masquer qu’une grande partie des activités des sociétés se révèlent néfastes pour l’environnement. Il s’agit alors d’avancer en s’engageant explicitement, notamment par la formalisation d’une ingénierie transversale du développement durable, un ensemble de démarches méthodiques et pertinentes mises en oeuvre dans chaque organisation pour atteindre l’objectif visé.
Ensuite, il est nécessaire de comprendre que le développement durable se met en place via une amélioration continue des offres et des pratiques. Rome ne s’est pas faite en un jour !
En même temps, il est aussi primordial de diffuser le réflexe de développement durable dans les prestations comme dans la vie interne de l’entreprise. Qu’il s’agisse d’un produit ou d’un process, chaque entreprise doit être en mesure de proposer des solutions adéquates, en osant dépasser le cahier des charges quand la dimension écologique et durable n’est pas explicitement requise.
Mais dans ce cas, il sera par exemple possible d’adresser au client des offres à paliers afin d’éviter le potentiel échec du « tout ou rien ». Enfin, dans un souci de cohérence et de complémentarité, notons qu’il importe pour une entreprise de s’entourer d’un écosystème, c’est-à-dire d’une communauté de clients et de prestataires qui partagent et favorisent la même démarche pour le développement durable.
Des mobilités à ne pas oublier
La plupart des écolabels se concentrent sur les effets de la construction du bâtiment, de son aménagement et de son exploitation sur l’environnement. Mais c’est ignorer une autre dimension qui correspond aux usages induits par la situation bâtiment, tels que les mobilités des collaborateurs. Lorsque l’on réunit des salariés sur un seul campus en périphérie d’une ville, chaque collaborateur converge vers ce nouveau point de rencontre et augmente ainsi son empreinte écologique. L’impact du changement de mobilité est donc négatif sur l’environnement, d’autant plus si ce changement intervient après une longue période sédentarité immobilière.
En effet, les salariés à forte ancienneté, ayant investi dans un logement à proximité de leurs précédents bureaux, sont dans l’impossibilité de s’adapter rapidement au changement de territoire, à cause de l’inertie du marché immobilier et des forts impacts familiaux. Il s’agit donc de voir au-delà des écolabels qui sont utiles, sur lesquels on peut s’appuyer, mais qui omettent l’impact lourd de la mobilité des collaborateurs.
Finalement, si la logique d’éloignement géographique sur un campus unique est engagée, elle ne doit jamais s’entrevoir sans la promotion du multisite par le télétravail au sens large, dans le but de diminuer les émissions de CO2 et de réduire le stress lié à la pénibilité dans les transports.
La plupart des écolabels se concentrent sur les effets de la construction du bâtiment, de son aménagement et de son exploitation sur l’environnement. Mais c’est ignorer une autre dimension qui correspond aux usages induits par la situation bâtiment, tels que les mobilités des collaborateurs. Lorsque l’on réunit des salariés sur un seul campus en périphérie d’une ville, chaque collaborateur converge vers ce nouveau point de rencontre et augmente ainsi son empreinte écologique. L’impact du changement de mobilité est donc négatif sur l’environnement, d’autant plus si ce changement intervient après une longue période sédentarité immobilière.
En effet, les salariés à forte ancienneté, ayant investi dans un logement à proximité de leurs précédents bureaux, sont dans l’impossibilité de s’adapter rapidement au changement de territoire, à cause de l’inertie du marché immobilier et des forts impacts familiaux. Il s’agit donc de voir au-delà des écolabels qui sont utiles, sur lesquels on peut s’appuyer, mais qui omettent l’impact lourd de la mobilité des collaborateurs.
Finalement, si la logique d’éloignement géographique sur un campus unique est engagée, elle ne doit jamais s’entrevoir sans la promotion du multisite par le télétravail au sens large, dans le but de diminuer les émissions de CO2 et de réduire le stress lié à la pénibilité dans les transports.
Et concrètement ?
La durabilité, c’est de passer d’un modèle de structures jetables à des structures évolutives. En effet, pourquoi constamment oublier les aménagements et leur mobilier passés de mode ou inadaptés aux activités sans avoir étudié la possibilité de les transformer ? Penser la sobriété, c’est innover dans la pérennité, sans céder à l’injonction à la nouveauté. Autant être franc, la solution révolutionnaire et définitive n’existe pas.
Les actions en faveur du développement durable sont toutes sobres et peuvent se découper en plusieurs volets. On peut privilégier des solutions, des concepts ou des équipements avec un faible impact carbone. C’est le cas lorsque l’on adopte un système d’éclairage et de ventilation avec détecteur de présence, des objets en verre ou en carton plutôt qu’en plastique jetable. Le télétravail à domicile fait partie de ces solutions de faible impact carbonique, dans la mesure où le meilleur moyen de limiter son empreinte écologique est de ne pas en produire du tout.
Ensuite, on peut privilégier un modèle circulaire, qui met en avant par exemple la réparation d’un mobilier défectueux et sa réutilisation après un déménagement, ou encore sa revente pour un euro symbolique auprès d’un collaborateur, lorsqu’il ne trouve plus sa place.
Enfin, notons l’importance du partage des déplacements en soutenant le covoiturage, de la mutualisation d’objets connectés ou des espaces entre les entreprises comme les parkings, les cantines, les salles de conférence, et éventuellement, les lieux collectifs et les postes de travail.
Il faut également penser la réversibilité de l’immeuble de bureau, qui pourrait par exemple devenir une résidence de logements quelques années plus tard. Un lieu n’aura pas nécessairement le même usage, le même but, ni les mêmes occupants au cours du temps. La reconversion du patrimoine prévoit, dès la conception du bâtiment, la possibilité d’une recomposition sans avoir à le démolir ou à le rénover lourdement. C’est une prise en compte responsable des ressources de la planète, qui, en parallèle, réduit drastiquement les coûts de transformation.
Pourtant, aujourd’hui encore, trop peu d’immeubles de bureaux sont conçus selon ce programme d’anticipation.
Enfin, ajoutons que la digitalisation ne rime pas forcément avec sobriété et développement durable. Si l’on prend un exemple concret, la pratique du «zéro papier » n’est pas toujours plus écologique que l’utilisation généralisée du papier. Quel type de serveur est exploité ? Quels sont les usages du numérique et quel papier est utilisé ? Encore une fois, le digital doit être apporté en entreprise de manière raisonnée, son impact environnemental dépendra des usages qu’on en fait.
Une responsabilité globale
Plus que le développement durable, c’est une démarche de responsabilité sociétale des entreprises qui est en marche. Ce n’est donc plus uniquement l’impact carbone, ni l’écologie dans son ensemble, mais davantage la recherche du viable, du vivable et de l’équitable.
L’entreprise est dorénavant responsable, comme l’individu, d’honorer le contrat de durabilité vis-à-vis des générations présentes et futures. Autrement dit, elle doit participer à la restitution, voire à l’amélioration du contexte écologique dont elle a bénéficié. Elle se doit donc de travailler à enraciner le réflexe du développement durable à travers toute son activité. Les espaces de travail, souvent pensés comme hors-sujets car faisant partie des outils de travail que l’on ne voit pas, doivent donc être conçus impérativement à travers ce prisme de responsabilité.
Pour finir en nuance, la responsabilité sociétale grandissante des entreprises est à mettre en débat, car elle transforme le statut traditionnel de l’entreprise, d’acteur privé par essence, en substitut partiel de l’État-providence. Est-ce souhaitable ? Est-ce faisable ? Elle pose aussi des questions profondes quant au business model de la sobriété, de la frugalité. Est-ce si simple de faire sobre ? De quoi nourrir le prochain guide de Génie des Lieux !
Transformation du travail en 2030, soyons agiles !
La conclusion de Frédérique Mansoux
Dans une période d’accélération continue des transformations, la réponse à la question : « Comment sera le travail en 2030 ? » suppose une approche agile.
Chaque acteur doit se positionner dans une démarche d’amélioration continue basée sur l’observation puis la mise en action dans la mesure où, nous l’avons vu dans ce dossier, les transformations sont multiples.
Les lieux du travail de demain ne sont plus uniques et varient dans le temps : un siège aura son heure de gloire sur une période courte, pour laisser place ensuite à différents lieux. On peut affirmer que les transformations que nous observons montrent l’impact du travail sur les lieux plutôt que l’inverse.
Depuis moins de 10 ans, on observe plusieurs mutations : de la standardisation vers l’appropriation, de la réduction des coûts vers la RSE, de l’utilisateur de l’espace de travail vers l’acteur, du bâtiment unique vers plusieurs lieux, des générations X et Y vers de nouveaux modes de management, de la digitalisation vers la transformation du travail, de l’espace de bureau vers des lieux de vie, des services généraux vers des services aux occupants, de l’exploitation vers des consommations responsables, des transports polluants vers un impact carbone réduit.
La liste est sans fin et en perpétuelle évolution, en lien avec des transformations sociétales, économiques et environnementales.
Ainsi, la question la question du travail en 2030 amène à changer d’angle de vision pour privilégier les organisations et les modes de travail aux lieux qui les accueillent. Ces lieux sont polymorphes, regroupés ou dispersés dans des temporalités mouvantes.
Transformation digitale, les salariés suivent-ils le mouvement ?
par Julien Lever

L’expression « révolution digitale » laisse peu à peu place à celle, plus pragmatique, de « transformation digitale ».
À mesure que les grandes mutations numériques avancent dans le monde de l’entreprise, le désenchantement des salariés va crescendo. Un quart des répondants se sentent d’ailleurs livrés à eux-mêmes pour acquérir les nouvelles compétences nécessaires. Comment accompagner les collaborateurs en matière d’organisation ou d’outils ? Et quelles clés donner aux managers afin d’éviter un nouveau type de fracture digitale ?
C’est le thème de l’étude pilotée par le cabinet de conseil Julhiet Sterwen et menée auprès de grandes entreprises par l’institut IFOP. Le baromètre, dont c’est la quatrième édition, fait émerger plusieurs tendances. Une d’entre elles concerne un point particulièrement inquiétant : collaborateurs et managers ont de moins en moins le sentiment d’avoir les bonnes armes pour faire face à la transformation digitale.
La transformation digitale elle-même n’est pas remise en cause. Si les chiffres ont sensiblement diminué, la plupart des répondants estiment toujours qu’elle est bénéfique pour l’entreprise (74 %) et pour l’économie (60 %). Mais ces bénéfices semblent concerner surtout le collectif.
À titre individuel, ils ont le sentiment de subir une exigence de réactivité grandissante à cause du digital. Face à la nécessité reconnue de développer de nouvelles compétences, 25 % des salariés se sentent livrés à eux-mêmes. Et il leur est parfois difficile de trouver des repères dans des organisations qui se complexifient. Les salariés constatent en effet des tentatives de changements de plus en plus nombreuses. Mais seuls 13 % pensent que leur nouvelle organisation comporte moins de niveaux hiérarchiques que la précédente…
Les managers partagent ce sentiment d’inconfort. S’ils ont conscience du fait que leur rôle doit évoluer avec le numérique, en passant d’un management « de contrôle » au rôle de véritable « coach », 45 % d’entre eux (+ 7 % par rapport à 2018) ont le sentiment d’avoir moins d’impact et d’influence sur leurs collaborateurs. « Les nouvelles postures et pratiques supposent que le manager dépasse les compétences qui lui sont traditionnellement attribuées, pour interroger des ressorts plus personnels : créativité, résolution de problèmes complexes, pensée critique », explique Julien Lever, directeur général adjoint de Julhiet Sterwen.
Or, celui-ci n’a pas toujours les clés nécessaires pour opérer la transition vers ce management plus horizontal. Un sentiment confirmé par les salariés.
Face à ces doutes, l’étude révèle plusieurs leviers forts pour faciliter cette mutation digitale, qui touche toutes les dimensions de l’organisation. Trois points émergent particulièrement. En premier lieu, le collaborateur a parfois du mal à se situer dans une organisation qui évolue constamment. Le fait de partager avec lui, de manière claire, la stratégie de l’entreprise, le sens dans lequel elle souhaite aller, est primordial pour qu’il puisse retrouver des repères.
Ensuite, la question des outils mis à la disposition des salariés se pose. Le collaborateur est mieux équipé chez lui qu’au bureau, ce qui peut être source de déception et de frustration. Le manque d’outils informatiques adaptés peut notamment être un frein pour le télétravail, qui peine à se développer. Par ailleurs, 43 % des répondants ne sont pas satisfaits des open spaces et des modes de travail en flex office proposés. Il convient donc de mieux accompagner le salarié et de le traiter au même titre qu’un client, améliorant ainsi « l’expérience collaborateur ».
Enfin, la dimension environnementale est à prendre en compte. Cet argument pèse lourd dans la balance pour des salariés de plus en plus conscients de l’urgence écologique. Près de 80 % des collaborateurs et managers utiliseraient davantage le digital dans leur fonction en sachant qu’il a un impact positif sur l’environnement.
Or, 42 % ne pensent pas que, à l’heure actuelle, la transformation digitale permette d’utiliser des matériels plus économes en énergie. Ils perçoivent le digital comme sans impact sur l’environnement à 25 % et même comme néfaste à 38 %… En réalité, ils n’ont pas connaissance de toutes les possibilités induites, comme celles de développer les pratiques collaboratives et d’utiliser des équipements moins énergivores. Ces résultats sonnent comme un défi pour les entreprises. Leur prochain enjeu est sans nul doute d’accompagner ces changements, afin de (re)connecter salariés et managers à leur nouvel environnement digital.
Quel travail en 2030 ?
par Alain Tedaldi

Au-delà des nouveaux dispositifs de formation professionnelle et d’assurance- chômage entrant en vigueur, les impacts des transitions actuelles — aux plans économique, technologique, sociétal et écologique — sur le marché du travail vont être considérables, avec quelques tendances de fond dont les entreprises devront prendre la pleine mesure.
Dans un contexte professionnel en transformation et de plus en plus numérique, la considération, l’attention et le respect des personnes dans les relations de travail tendent à (re)devenir essentiels, garants d’une cohésion sociale interne mais également facteurs d’engagement et de pérennité du sens.
C’est bien dans la capacité des employeurs à offrir des conditions de travail au goût du jour que la différenciation entre entreprises va se jouer et impacter leurs performances. La combinaison d’environnements de travail réinventés dans les espaces, les solutions technologiques et les expériences collaborateurs, et de nouveaux contenus enrichis des emplois, créeront l’attractivité de l’employeur, quel qu’il soit. Celle-ci sera un gage prioritaire pour réussir les périodes d’intégration des nouveaux venus, pour contractualiser avec des écosystèmes à forte valeur et pour fidéliser les meilleurs talents sollicités par d’autres sirènes.
Le marché du travail va se tendre macro-économiquement, en raison des évolutions démographiques et économiques dans les territoires. Mais aussi en raison des déficits de compétences accumulés ces dernières années, qui ont accru le manque de fluidité du marché et les inégalités entre offre et demande. Chômage structurel, insuffisance des compétences critiques, inadéquation entre profils et expériences d’une part, nature et offres d’emplois d’autre part, doivent être anticipés dès à présent. Qui plus est dans un mouvement d’allongement de la durée du travail et de déséquilibre des pyramides des âges, qui remettent en cause les statuts et les formes de travail.
Les questions de marque employeur, d’on-boarding et de justesse managériale, vont en réalité créer les conditions de la concurrence d’un marché du travail qui va osciller entre destruction nette d’emplois dans des secteurs historiques et création nette de nouveaux emplois et fonctions dans des domaines porteurs.
Plus que le simple discours parfois cynique réintroduisant l’humain dans l’entreprise, il s’agit en fait de redessiner en profondeur les emplois, avec une dose plus ou moins forte d’intelligence dite artificielle, tout en accélérant la conquête de la connaissance et de l’intelligence humaine. Mais cela pose également les questions d’ouverture du monde du travail aux diversités, aux profils hybrides, et tous ceux qui offriront des regards inédits, constructifs, positifs et créateurs de valeur. Les employeurs et les institutions qui sauront intégrer le temps long et la dimension prospective du travail devraient être ceux qui s’en sortent le mieux.
En conclusion, aborder le futur du travail ne revient-il finalement pas à nous demander collectivement, acteurs
économiques et sociaux, individus, institutions, de quel travail nous parlons et de quelle manière nous souhaitons
prendre nos destins en main.